Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La route du Bonheur

Publié le par Eymeric Bordes

"Et voila, passez une très bonne journée !"

 

Je sort de la supérette, une canette de thé glacé à la main, le soleil sur le visage. Je passe une main dans mes longs cheveux pour dégager mon front, puis une main dans ma barbe. Elle n'est pas très longue, mais je pense qu'elle ne poussera pas plus. Je dois bien avoir l'air con. Debout, dans vieux manteau imperméable beige, mon vieux Jean, mes rangers noires et mes mitaines en laine, a regarder le ciel, un coca a la main et un sac d'école sur le dos. Que pensent les gens quand ils passent près de moi ? La plupart écarterons leurs enfants, craignant que je suis un maniaque sexuel. D'autres que je sois rien de plus qu'un SDF, voire un criminel en fuite. Mais je ne suis rien de tout ça.

 

Je suis Richard Laimé. Et je suis un mec qui cherche le bonheur.

 

Une fois le soleil caché par un nuage, je finis par sortir de mes pensées et je me dit que je devrais reprendre ma route. J'ouvre ma canette et en bois une gorgée, puis me met a marcher. Le trottoir se transforme en de la terre au bords de la route : je suis sortit de ce village. Je regarde a ma gauche. Un embranchement menant vers la ville la plus proche. Devant moi, une longue route. A droite, un grand champ semblant ne jamais se finir. J'ai du temps devant moi. Prenons la grande route. Je continue tout droit, les voitures passant près de moi. Mon portable est encore un peu chargé. Je sort mes écouteurs et me met à écouter le thème de Laura, tiré de Silent Hill 2. Je continue de marcher.

 

J'ai pris la route il y a combien de temps ? Deux, trois jours ? Je me rappelle avoir dormi une nuit dans une cabine de toilettes publique que j'avais verrouillé. J'ai été réveillé par quelqu'un qui voulait s'en servir, puis j'ai mangé un sandwich, j'ai continué ma route puis j'ai dormi au fond d'une ruelle... Et je me suis réveillé... Et... Non... Mon voyage dure depuis bien plus longtemps que ça... Mes cheveux n'étaient pas aussi long... Comment va ma famille ? Comment vont mes amis ? Ils s'occupent bien du chien ? Ils doivent être inquiets... Je devrais rentrer... Ils doivent me croire mort... Non. Ils m'auraient cherchés, sinon. Je dois continuer.

 

J'ai toujours été un mec banal. Le genre de personnes que vous croisez dans la rue une fois et dont vous n'avez sûrement jamais remarqué l'existence. Une fois sorti du lycée, il fallait trouver un travail. J'avais un diplôme, j'étais motivé. Mais rien. Pas de travail. Je cherchais, mais je ne trouvais pas. Parce qu'il n'y en avais pas. Je ne suis pas le seul. Des milliers de gens dans ce pays n'arrivent pas à trouver un travail malgré leurs efforts. Et nos dirigeants agissent comme si tout allait bien. Forcément... Ils n'ont pas besoin de ça, eux. Ils travaillent déjà en politique. Tout va bien pour eux. J'ai passé trois ans a chercher sans trouver. Ma famille pensait que je ne cherchais pas, que je m'en foutait. J'avais la sensation de n'être qu'un boulet. Un parasite. Je ne servais a rien, et je coûtais de l'argent a ma famille.

 

J'essayait de trouver une solution, mais ils étaient persuadés que j'étais content de n'être qu'un parasite. Je ne l'étais pas... Il m'arrivais de pleurer seul le soir après m'être fait hurler dessus. A 20 ans. Simplement parce que j'avais la sensation que quoi que je dise, quoi que je fasse pour changer les choses, la société m'empêchera d'avancer. Et je passerais pour le méchant. Pour le fautif dans cette situation. Je n'en dormais plus. Je ne pouvais pas dire que j'étais en pleine dépression, ce qui était le cas, sinon on me riait au nez et on me disait d'arrêter de me foutre de la gueule du monde. Si je pleurais, mes larmes étaient fausses et je ne faisait que jouer la comédie. Je n'étais qu'un sale menteur ignoble aux yeux de tous.

 

Puis j'ai décidé de partir.

 

Voyez ça comme une fugue si vous le voulez. Mais je suis un adulte. Je devrais pouvoir choisir de l'endroit ou je me rends. C'est ce que j'ai fait. J'ai libéré ma famille d'un poids et je suis parti sur la route. J'ai tout essayé pour être heureux et rendre ma famille heureuse. Je n'y suis jamais arrivé.

 

Peut-être que le bonheur se trouve ailleurs.

 

Je marche depuis un moment, ne sachant ou aller, avec le reste de mes économies, un portable en mode avion pour ne pas être dérangé par ma famille ou quoi que ce soit, un chargeur pour mon téléphone si je trouve un moyen de le brancher comme dans un fast-food et une photo de moi enfant, afin de la regarder pour me rappeler l'époque ou je connaissais le bonheur. Et aujourd'hui, je veux le retrouver. D'une manière ou d'une autre?

 

J'arrive dans un nouveau village. Super... Un trottoir... Je décide de faire une pause sur un banc. Il se fait tard. Je devrais trouver un endroit bien caché ou dormir, afin de ne pas me faire voler... Ce n'est que maintenant que je remarque un vieil homme assis a l'autre bout du banc. Il jette des miettes de pains a une bande de piafs à ses pieds. Il est en chaussons et à une canne près de lui. Il doit vivre dans le coin... Il est très maigre, il a très peu de cheveux sur la tête et un nez pointu. Il sourit en nourrissant les oiseaux.

 

Est-il heureux ?

 

Voyant que je l'observe, il se tourne vers moi et me souris. "Bonjour jeune homme", dit il en retournant nourrir les piafs. Après une légère hésitation, je finit par bégayer un "Bonjour...". Je l'observe faire. "Vous... Venez souvent nourrir les... Enfin, vous aimez faire ça ?". Il me regarde, sans jamais lâcher son sourire. "Et bien, les oiseaux ont aussi droit a notre attention. Ils sont toujours heureux quand on les nourrit comme ça. Et moi je suis heureux, si ils le sont". Pour lui, le bonheur réside dans le fait de nourrir des oiseaux...? "Je... Je peux... Enfin si ça vous..." Il me tends un morceau de pain. "Je vous en prie, allez-y". La main tremblante, je prends le pain. Je murmure un merci, arrache un peu de mie et la jette devant moi. Des oiseaux s'approchent et commence a manger. Je continue de les nourrir comme le vieux. Je me sent... Je sais pas... Ces oiseaux doivent être contents qu'on leur donne un repas gratuit, même modeste. Donc je devrais être content de leur en donner un. Mais... Je n'arrive pas a me retirer de la tête mes problèmes... Le fait que je suis devenu un simple vagabond... Que ma famille a honte de moi...

 

Je ne suis pas heureux...

 

Le vieil homme se lève lentement. "Bon, je vais y aller ou ma femme va me tuer, hé hé... Dites moi jeune homme, vous êtes du coin ?", demande-t-il. Je baisse la tête. "Non... Je suis pas... Enfin... Ou sommes nous ?". Il a l'air étonné. "Avallon, pourquoi ? Vous venez d'où ?". Avallon... J'en ai jamais entendu parler... "On est en Alsace...?" le vieux ouvre grand les yeux. "Ne me dites pas que vous avez marchés jusqu'ici depuis l'Alsace ? Vous êtes fou ?". Fou... Oui, c'est complètement fou... Il faut être taré pour faire ce que j'ai fait... Qu'est ce qui tourne pas rond chez moi ? Je me lève. "Je dois y aller, je... Une... Bonne journée a vous Monsieur !" Je commence a marcher rapidement pour continuer ma route, mais le vieux m'agrippe le bras en me disant d'attendre. Il va appeler la police...? Il va faire quoi ? Je veux juste la paix, être tranquille, continuer ma route...

 

"Vous devez être mort de faim, mon pauvre... Vous n'avez nulle part ou dormir ?". Surpris, j'arrive seulement a faire "non" de la tête. Il souri. "Venez, je vais pas vous laisser comme ça dehors. Et ma femme ferait jamais ça non plus, elle comprendra". Sans que je puisse répondre, il me tire. Je le suis jusqu'à une petite maison perdue dans un jardin rempli de fleurs. Il rentre et m'invite a le suivre. Une vieille femme aux cheveux gris bouclés viens nous accueillir. En me voyant, elle demande au vieux une explication. "Ce jeune garçon a marché depuis l'Alsace, et il a pas l'air bien méchant. Je me suis dis qu'on pourrait le loger, j'allais pas le laisser dehors en pleine nuit". La femme sourit et se tourne vers moi. "Mon pauvre mais pourquoi avoir fait tant de chemin ? Ah mais vous savez quoi, vous nous expliquerez pendant le dîner ! Chéri, montre lui la sale de bain. Laissez vos vêtements dans le bac, je les laverais pour vous. On vous en prête". Le vieux me prends par l'épaule et on monte à l'étage, ou il me présente la salle de bain. "Prenez votre temps, jeune homme. Au fait, je m'appelle Jacob. Ma femme c'est Laetitia. Et vous ?" "Richard... Laimé Richard". Il sourit et me souhaite un bon bain avant de fermer la porte. Je me déshabille et m'installe dans l'eau.

 

Ce couple... Soit ils sont très généreux, soit incroyablement stupides. Je pourrais être un voleur, ou pire... Mais ils m'accueillent chez eux comme si ils me connaissaient... Pourquoi feraient-ils cela ?

 

Je les rejoins dans leur cuisine. Laetitia sourit en me voyant arriver et appelle Jacob pour manger. Du poulet, des petits pois et des carottes... J'avais oublié le gout d'un vrai plat chaud... Jacob me demande de leur raconter mon histoire. Ce que je fait. Une fois fini, Laetitia soupire. "Malheureusement, Richard, vous n'êtes sûrement pas le seul a avoir tout abandonné a cause du système dans lequel nous vivons..." Jacob prends la parole. "Nous vivons a une époque ou être jeune est incroyablement difficile. Ils souffrent, ils n'arrivent à rien et personne ne les écoutes, nos dirigeants les laisse au fond du trou. Si c'est pas malheureux... Je vais vous dire, Richard. Moi, je donnerais tout pour avoir vingt ans a nouveau. Mais pas a notre époque". On m'a déjà dit cette phrase un jour. La preuve que c'est une pensée répandue... Jacob continue. "Si votre famille agissait vraiment ainsi, et bien désolé mais ils devraient avoir honte. Ils auraient du vous encourager, vous soutenir, vous aider a vous en sortir ! Au lieu de vous torturer psychologiquement comme ils l'ont fait... C'est répugnant". Laetitia lui dit de se calmer puis prends la parole. "Je ne pense pas que fuir ainsi soit la meilleure des solutions... Mais pour être honnête, je n'en vois pas d'autre. C'est déprimant... Mais c'est ainsi..."

 

C'est vrai... Je ne veux pas rentrer et être un boulet. Mais je n'ai nulle part ou aller. Je n'ai pas de travail pour me payer un endroit ou vivre. Je n'ai plus rien. Je suis sensé faire quoi ? Jacob me demande ou j'allais. "Je... Ne sais pas trop... Je marche au hasard, je suis la route sans réel objectif. Je me dit qu'un jour, si je continue... Je finirais par trouver le bonheur, ou qu'il soit". Jacob soupire. "Ce que je peux vous dire... C'est qu'aujourd'hui, le bonheur est très difficile à trouver... Peut-être que vous parviendrez à trouver une chose qui vous rendra heureux. Je l'espère en tout cas. Vous n'avez pas l'air d'une mauvaise personne". Je souris. Une fois le repas fini, je décide d'aller me coucher. Je m'endort immédiatement au contact du lit. Cette sensation me manquait...

 

Je me réveille assez tôt. Laetitia et Jacob dorment encore. Je décide de prendre un papier et un stylo pour leur laisser un mot afin de les remercier, puis je prends mes affaires et reprends ma route. J'ai pu recharger mon portable. Je met une musique de Stupeflip et sort d'Avallon.

 

Ce couple m'a accueilli. Par pure générosité. Parce que ça les rendait heureux d'aider quelqu'un. Je pense que chacun a sa propre manière d'être heureux. Eux, ils sont heureux en donnant. Certains sont heureux en prenant aux autres. Et moi, que suis-je ? Qu'est ce que je veux ? Une vie simple. Je ne demande pas une grande maison, une belle voiture, juste un endroit ou vivre, ou je sais que je pourrais rester encore un moment, un peu a manger, internet, des amis avec qui sortir... Peut-être une petite amie... Et un chat. C'est tout ce que j'aimerais pour être heureux. Mais dans notre société, même ça, c'est trop demander. Même vouloir une vie simple loin des soucis est trop demander. Voila la vérité du monde dans lequel on vit. La vérité de notre société. Pour être heureux, il faut être un esclave du système. Il faut fermer sa gueule et se prosterner devant nos supérieurs hiérarchiques. Dans ce sens, on peut dire que le moyen-âge ne s'est jamais terminé. Nous sommes toujours en dessous de tout. Nous ne sommes que des pantins, condamnés a travailler jusqu'à notre mort. Des boulots qu'on déteste mais qu'on fait parce qu'il n'y en a pas d'autres, et parce qu'on doit payer pour le confort minimum. Si notre monde n'était pas régit par des monstres avides de pouvoir et d'argent, les guerres, l'insécurité, la faim dans le monde... Tout ça n'existerait pas. C'est pour ça qu'aujourd'hui je marche seul. Parce que je refuse de faire partie de ce système carcéral à l'échelle mondiale. Je suis un paria, un vagabond, je suis seul et perdu. Mais je préfère mille fois ça qu'être un vulgaire esclave.

 

Interprétez ce message comme vous le voulez. Mais dîtes vous bien que si nous continuons de courber l'échine face a ceux qui dirigent notre monde actuel, il n'y a aucune chance que tout ça finisse bien. Nous approchons de notre fin. Et au lieu de freiner pour nous sauver, nous accélérons, trop lâches pour mettre notre salaire en jeu pour sauver notre monde.

 

Nous sommes des esclaves. La société est le mur nous empêchant d'emprunter la route du bonheur.

Commenter cet article